Depuis quelques années, la tendance s’est accentuée. Les banques se sont détournées de leur mission principale, en l’occurrence le financement des entreprises privées, et se sont concentrées sur le financement des dépenses de l’Etat. Un business juteux qui a provoqué un effet d’éviction exercé sur l’économie.
Pour Ridha Chkoundali, professeur universitaire en sciences économiques, le constat est clair: ce sont les banques et l’Etat qui sont responsables du rebond de l’inflation. “ Le financement des dépenses publiques par les banques tunisiennes est à l’origine de l’assèchement de la liquidité. Ce ne sont pas les familles tunisiennes qui sont responsables de l’inflation, ce sont les banques et l’Etat”, note-t-il à La Presse. Et d’ajouter que les banques ne remplissent plus leur rôle en tant que pourvoyeurs de crédits au profit des entreprises et de l’investissement privés. Elles se sont tournées vers une activité à la fois rentable (le taux d’intérêt s’élève à 8,55%) et sans risque. La liquidité a été absorbée pour financer les dépenses de l’Etat dont la valeur ajoutée est non marchande. Conséquence: durant les dix dernières années, il n’y a pas eu création de nouvelles richesses. Le taux de croissance oscille autour de 0%.
Selon l’expert, cette situation trouve son origine dans une politique “boiteuse” de lutte contre l’inflation. En effet, Chkoundali explique que la politique de ciblage de l’inflation par le biais de la politique monétaire est vouée à l’échec parce que l’origine de l’inflation en Tunisie n’est pas uniquement monétaire. L’expert souligne, à ce sujet, que l’inflation dépend également de plusieurs facteurs, notamment les circuits de distribution, la politique fiscale, les subventions, etc. ”L’inflation a de multiples origines. Elle n’est pas uniquement monétaire. Elle est aussi budgétaire”, précise-t-il.
Et d’ajouter :“L’approche de la BCT pour la lutte contre l’inflation est une approche erronée parce qu’elle suppose que ce sont les biens de consommation importés qui sont à l’origine de l’inflation. Afin de réduire la consommation privée, la BCT recourt à l’augmentation du taux d’intérêt pour limiter le volume des crédits à la consommation et par ricochet réduire les importations. Or, l’analyse de la structure du déficit commercial révèle que 40% du déficit est énergétique et 30% proviennent des matières premières et 20% des équipements. La part des biens de consommation dans le déficit commercial est insignifiante», indique Chkoundali.
L’expert prône une politique dite “mixte” qui va dans le sens de la coordination des politiques monétaire et budgétaire.
Interrogé sur la conformité des banques aux normes de Bâle et la migration vers les normes comptables Ifrs, Chkoundali fait savoir que la mise en application des normes de Bâle II souffre encore de quelques lacunes. Mais les banques sont appelées à se conformer aux normes prudentielles de Bâle III. “Les banques sont-elles prêtes? En tout cas, elles n’ont pas le choix, soit elles s’orientent vers l’amélioration des normes prudentielles, soit elles disparaîtront du marché. Il y a une compétition à l’échelle internationale. Les agences de notation attribuent aux banques des notes qui conditionnent leurs activités.
L’amélioration de la gouvernance des banques qui passe par l’amélioration des normes prudentielles est aussi une conditionnalité imposée par les institutions financières internationales. Le secteur bancaire souffre d’un grand problème de liquidité. Une banque solide doit affronter les risques, or, les banques optent pour les solutions faciles, à savoir le financement des dépenses publiques», ajoute-t-il.
Au sujet de la réforme des banques publiques, Chkoundali souligne que malgré la recapitalisation des banques et l’injection des fonds, la réforme démarrée en 2012 n’a pas abouti à des résultats concrets et l’Etat est le responsable de cet échec.
Par ailleurs, l’expert précise que la transition de l’économie tunisienne d’une économie d’endettement vers une économie de participation est devenue une nécessité primordiale.
Il ajoute, en ce sens: “Le financement devrait se faire par le biais du marché financier. Or, le marché financier est très archaïque et compte seulement quelques entreprises cotées, principalement des banques. Il faut que la réforme arrive à transformer l’économie d’endettement en une économie de participation où les investissements mais aussi l’Etat (à travers le trésor) sont financés essentiellement sur le marché financier”.